Dans l’imaginaire collectif des citoyens, le maire bénéficie toujours d’une côte de popularité importante. Encore récemment, un sondage indiquait que 74 % des Français(es) accordent une confiance appuyée à celui de leur commune. S’il faut toujours faire preuve de vigilance dans l’analyse des résultats de ce type de consultation (car 54 % font « plutôt » confiance, et que cet adverbe indistinct entretient des incertitudes quant à la lecture de ces données), la vision de nos habitants sur la manière dont nous assurons nos missions est de loin bien meilleure que celle des autres acteurs démocratiques issus des échéances électives : conseillers départementaux (57 %), conseillers régionaux (54%), députés (43%) ou sénateurs (39 %).
Cette tendance générale me semble assez conforme à ce que je pratique au quotidien depuis le début de mon mandat, même s’il serait utopique de croire que tout est facile quand il s’agit de relations humaines. Les occasions ne manqueront d’ailleurs pas de consacrer quelques billets de ce blog à la complexité de celles qui unissent le maire à ses administrés.
Il est toujours difficile de mettre des explications sur ce qui touche à cette famille si éclectique du sentiment, car elle s’appuie sur des éléments affectifs et intuitifs pour se construire. Pour ce qui est de la confiance mise par les habitants dans leur maire, beaucoup de critères entrent en ligne de compte pour justifier son caractère positif.
Peut-être est-il possible d’en deviner quelques-uns, comme l’importance de la posture du chef dans la conscience française, tirée de ces grands noms qui ont façonné (et fasciné) l’Histoire du pays, ou bien encore de l’inhérente proximité que doit le maire à ses habitants dans le traitement quotidien de leurs doléances. Sur ce dernier point, il faut dire que le Français, pessimiste en général mais optimiste dans le particulier, se sentira assurément plus proches des élus communaux qui disposent des prérogatives pour agir sur ce dernier aspect de leur existence.
Il y aussi, j’en ai la conviction, quelque chose de l’ordre du pathétique dans le regard que portent aujourd’hui les gens sur notre rôle et les conditions dans lesquelles nous exerçons nos missions. Combien de nos concitoyens, même les plus critiques, reconnaissent une forme de courage dans cette volonté de s’atteler à cette tâche ? J’ai plusieurs fois entendu « Je n’aimerais pas être à votre place », « Je ne sais pas comment vous faites », « Moi, je ne pourrais pas ». Certainement avons nous tous trop conscience des égarements possibles de notre propre nature humaine pour ne pas savoir que les maires peuvent en être les premiers affectés.
Cette compréhension par nos populations des difficultés qui sont les nôtres alimente comme une proximité affective entre nous. De cette relation de confiance, le maire devient naturellement la première porte d’entrée quand il s’agit d’écouter, de résoudre un problème ou combler un besoin. Il est en général facile d’accès, car s’il y a bien une chose compliquée à faire pour lui, c’est se cacher.
Ce constat est aujourd’hui à mettre en corrélation avec une difficulté qui n’a de cesse de s’accentuer au fil des années, comme une marque du déclin de notre pays dans de nombreux domaines. Je parlerais ici du sentiment d’abandon toujours plus marqué de nos populations causé par les désengagements successifs de l’Etat sur de nombreux sujets de la vie quotidienne : éducation, santé, sécurité, justice … Dans ce contexte de paupérisation économique, intellectuelle et culturelle que subit la France depuis maintenant trop longtemps, le maire se retrouve en situation de devoir compenser toujours plus ce que les décisionnaires éloignés du concret de nos vies ont sans scrupules sacrifiés sur l’autel d’un modèle économique et social devenu aussi inégalitaire que tari.
Ce sont désormais aux maires et leurs équipes de trouver des solutions face à la désertification médicale provoquée par une pénurie institutionnalisée de médecins. Dans leur quotidien, ils doivent démarcher des futurs spécialistes jusque dans leurs écoles et investir de l’argent public dans des maisons médicales dédiées au regroupement et à l’accueil des praticiens.
Ce sont également eux qui multiplient les créations de polices municipales pour pallier les manquements de couverture du territoire par les forces de l’ordre, alors même que la police et la sécurité forment une partie centrale des missions régaliennes de l’Etat. Dans leur quotidien, surtout en zones rurales, ils interviennent sur des situations de tension autrefois gérés par les forces de l’ordre, notamment à cause de la proximité disparue des brigades de gendarmerie. Les formations de gestion de conflit à notre attention se multiplient et l’Etat porte un discours de fermeté pour ceux qui n’attaqueraient à des élus. A titre personnel, je préfèrerais me sentir soutenu aux portes des habitations plutôt qu’à la barre des tribunaux.
Ce sont encore les maires et leurs équipes qui s’échignent à combattre l’éloignement des services publics et maintenir une couverture homogène de leur territoire. Dans leur quotidien, ils mettent à disposition des locaux, renseignent et accompagnent dans les démarches, parfois mettent en place des solutions de mobilités pour les publics les plus précaires.
Ce sont les maires et leurs équipes qui mènent certains combats que le laxisme judiciaire a décliné. Dans leur quotidien, ce sont par exemple à eux d’aller au front face aux gens du voyage qui occupent illégalement des terrains ou décident d'édifier des habitations sur des terrains non constructibles. L’Etat est tellement frileux de gérer cet épineux problème qu’il préfère laisser les maires s’en débrouiller.
Ce sont pareillement aux maires et à leurs équipes de compenser le désengagement financier de l’Etat à leur encontre. Dans leur quotidien, ils doivent expliquer l’augmentation des tarifs des services publics communaux engendrées par les modifications règlementaires décidées en haut lieu, ou les réajustements budgétaires (réduction des services proposés ou augmentation des impôts locaux) rendus obligatoires par les baisses régulières de dotations étatiques. Au bout du compte, ce sont autant de moyens et d’efforts qui manquent dans les nombreuses autres missions dont nous avons traditionnellement la charge.

Cette liste qui ressemble davantage à un champ de mines qu’à un pré vert est malheureusement non exhaustive. Elle pourrait facilement être complétée par la gestion budgétaire du système éducatif qui engendre des fermetures de classes dans les écoles. Sans consultation, et avec une rigidité quasi inquisitrice, l’Etat garde aussi la main sur la défiguration de nos paysages où se multiplient les antennes téléphoniques et les éoliennes. Il n’est pas question ici de remettre en cause le progrès ou les obligations environnementales de notre temps, mais de regretter que nous soyons complètement écartés des discussions et des réflexions qui permettraient d’obtenir des compromis bien plus satisfaisants.
Paradoxalement, cette décentralisation non consentie cache en réalité une perte d’indépendance et de pouvoir des maires sur beaucoup d’autres sujets. En matière d’urbanisme par exemple, l’Etat a fait le choix de davantage cadrer les velléités d’aménagement du territoire des élus. Avec une ribambelle de documents tous plus contraignants les uns les autres (SRADDET, SCOT, PLUI …), les possibilités en sont d’autant réduites. La suppression récente de la taxe d’habitation, compensée budgétairement par un versement de l’Etat, a de son côté accentué la dépendance des communes au jacobinisme jupitérien.
De mon ressenti, le plus difficile à gérer dans la relation avec l’Etat s’exprime dans une forme de soumission à une vision unilatérale et voulue par des décisionnaires qui savent exiger plus des autres que d’eux-mêmes. Qu’il est frustrant de devoir appliquer des politiques inadaptées pour nos communes, surtout quand elles sont réfléchies puis imposées par un Etat qui, quand le besoin est inverse, ne nous soutient pas avec la même rigueur, la même dévotion et le même sens des responsabilités qu’il exige de nous.
L’Etat fait l’erreur de nous exclure de la définition stratégique des politiques appliquées, alors même que nous sommes au plus près de la réalité de terrain. Il fait la même erreur que l’Etat Major qui, au début de la seconde Guerre Mondiale, n’écoutait pas les officiers de terrain qui proposaient des solutions plus adaptées aux évolutions des règles du combat. Comme visiblement dans notre pays, il est indispensable pour un élu de se référer au plus célèbre des généraux de France, je citerais en exemple Charles De Gaulle et sa compréhension du rôle accru des chars d’assaut dans le conflit qui démarrait. Il n’avait pas ou peu été entendu par ses supérieurs. Les chars allemands avaient alors grandement favorisé la réussite de la Blitzkrieg.
Cette posture mêlant imposition et manque d’écoute est dangereuse. Quand notre Etat perd de sa crédibilité, c’est bien le système sur lequel il repose qui est remis en question. L’Histoire l’a à maintes reprises montrée.
Cette ambivalence de l’Etat, entre désengagement sur ses missions opérationnelles (donc couteuses) d’un côté et une prise de contrôle règlementaire (qui engage peu de moyens pour lui) de l’autre, rend impossible auprès de la population l’actualisation de la vision des pouvoirs réels du maire et des élus communaux. Elle nous met clairement en difficulté sur de nombreux sujets car quelque soit la situation, le maire devra toujours répondre présent, en responsabilité ou non du sujet.
Pour nos dirigeants, les élus des communes, et les maires en particulier, représentent une sous-traitance pas chère, plutôt efficace et peu revendicative. Leur gestion de la crise sanitaire du Covid 19 l’a clairement prouvée. Mais malheureusement, comme tout sous-traitant, nous n’avons souvent pas la reconnaissance et les conditions de travail qu’il serait légitime d’attendre du commanditaire. Il nous est impossible de nous défiler face aux habitants avec qui nous sommes en contact direct. L’Etat l’a bien compris, et en joue parfois.
Au final, le maire d’aujourd’hui, bien que volontaire, investi et dévoué à la tâche, ne peut pas faire de miracle. Nous gérons plus de choses, mais sans doute globalement moins bien, sans les moyens alloués à ce transfert induit de nouvelles missions. Question philosophique : est-ce qu'être partout, c'est finalement être nul part ?
Le maire, représentant de l’Etat dans sa commune, a toujours joué le rôle de tampon entre sa population et cette imposante machine technocratique. Mais un tampon doit être alimenté et entretenu pour ne pas s’assécher. Aujourd’hui, les maires s’assèchent, à tel point que beaucoup ne se représentent pas. Si la soupe est si bonne que certains le disent, c’est bien preuve d’un vrai malaise, et le sentiment d’abandon par l’Etat, sans en être la seule raison, prend incontestablement sa part dans ce phénomène.
Ce ressenti n’est pas nouveau. Il a déjà fait et fait toujours l’objet de nombreux échanges entre les deux parties. Mais rien ne change. Les risques d’une fracture restent donc réels. Les élus communaux sont certes au bas de la pyramide électorale en France, ils n’en sont pas moins le socle. Et si celui-ci commence à se fissurer, c’est l’ensemble de l’édifice qui en devient fragilisé.

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